Benoît Giordano
(médecine dentaire 1993, résidence multidisciplinaire en médecine dentaire 1994)
Son diplôme tout juste en poche, Benoît Giordano est allé exercer la dentisterie dans une réserve crie de la Baie-James, une expérience qui l’a transformé à tout jamais.
L'appel du Nord
« Ce n’est pas ce que j’appellerais le Grand, Grand Nord, fait-il remarquer. Plutôt le Moyen Nord parce que la communauté est encore reliée par la route. Pour moi, c’était le moment idéal de le faire. J’étais jeune, je n’avais pas d’attaches, pas encore de cabinet. Et je suis un passionné de plein air et de randonnée en forêt. Mon objectif était de rester un an et de revenir installer ma pratique autour de Montréal. En fait, ça a duré 6 ans. »
Concours de circonstances, juste avant d’accepter le poste en août 1994, il rencontre une jeune femme qui deviendra sa conjointe et avec laquelle il a eu une fille sur la réserve. À 2, puis à 3, ils apprécient leur vie, loin du stress de la grande ville et entourée de nature à perte de vue : manger de la banique et de l’orignal grillé au feu de camp les fins de semaine dans le bois, pêcher leur souper, prendre leur lunch sur le lac, profiter des veillées après le souper l’hiver, des promenades en motoneige à observer les constellations et des aurores boréales.
« Pour moi, c’est ça le vrai bonheur, insiste-t-il. Nous avons quitté la réserve principalement parce que ma fille devait rentrer à l’école. Là-bas, jusqu’en 3e année, l’éducation se fait en langue crie uniquement. Nous n’avions pas vraiment le choix… »
Beaucoup de prévention
Un choix pénible tant la réadaptation a été difficile, plus que l’arrivée sur la réserve 6 ans plus tôt, alors même qu’il raconte avoir eu l’impression d’arriver dans un pays inconnu. La langue, l’environnement, la culture, le mode de vie, tout était différent. Et si cela pouvait parfois demander des ajustements dans sa pratique – la notion de ponctualité étant à géométrie variable notamment –, Benoit Giordano avoue avoir apprécié cette période moins stressante de sa vie et avoir pris le temps de vivre en harmonie avec sa communauté d’adoption.
Le jeune dentiste reçoit alors au dispensaire, là où se concentrent tous les services sociaux et de santé. Ils sont 2 dentistes et une assistante, autochtone, qui, en plus de ses attributions, se charge de la traduction avec certains patients ne parlant que la langue crie. Une barrière de la langue qui peut être compliquée parfois, d’autant plus que très vite il constate d’importants besoins en matière de soins dentaires, bien que ceux-ci sont gratuits pour les autochtones. Il prend alors conscience de l’importance de faire beaucoup de prévention.
« Nous traitions énormément de caries du nourrisson parce que les bébés sont couchés avec un biberon de lait, quand ce n’est pas du jus, explique-t-il. Parfois, nous devions extraire toutes les dents sous anesthésie générale à seulement 5 ans… Quant aux adultes, ils veulent y aller au plus simple, donc enlever la dent qui pose problème, et c’est tout. Il faut dire qu’ils partent souvent en camp de pêche ou de chasse durant de longs mois. Ce n’est pas facile de mettre en place un traitement sur le long terme. »
Le besoin en main d’œuvre est criant pour informer et prendre soin de ces hommes et ces femmes pas encore suffisamment sensibilisés à l’importance d’une bonne santé buccodentaire.
La tentation du retour
Il raconte également avoir eu parfois à soigner à distance, par la radio, et avec juste ce que son équipe et lui avaient dans la trousse de soins emportée lorsqu’ils partaient en camp : « C’était un peu la télémédecine avant l’heure! »
Même s’il a rapidement repris un rythme occidental, 20 ans après son retour, Benoit Giordano dit avoir quand même préservé un mode de vie plus détendu. Il possède une clinique dentaire à Beloeil où il pratique seul. Des moments inoubliables qui laisseront une trace inaltérable. Cette formidable expérience humaine lui aura permis de s’imprégner de valeurs authentiques et d’en garder un peu au fond du cœur.
« C’est rare aujourd’hui, mais comme ça je n’ai pas trop de contraintes, confie-t-il. La réadaptation a été difficile. Dans le travail, parce qu’il y a des soins précis que je n’avais pas faits là-bas, comme le traitement de canal, mais surtout dans la vie quotidienne. Plusieurs fois au début, nous avons été tentés de repartir auprès de ceux qui nous avons appris le temps de vivre ! »